Don’t Hide the Madness, a review by Théophile Aries

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Don’t Hide the Madness, a review by Théophile Aries // Une critique de Don’t Hide the Madness, par Théophile Aries

Member Théophile Aries wrote a review of the book Don’t Hide the Madness, released in October 2018 at Three Rooms Press.

Théophile Aries nous présente sa critique du livre Don’t Hide the Madness, paru en Octobre 2018 aux éditions Three Rooms Press.

Don't Hide the Madness

This text is available in French and in English

French

Assistant d’Allen Ginsberg pendant plus de 20 ans, Steven Taylor, membre du groupe
de rock 
The Fugs, a publié au mois d’août la retranscription d’une série de conversations entre William S. Burroughs et Allen Ginsberg dépêché à Lawrence par l’Observer Magazine du 18 au 22 mars 1992. 

Don’t Hide The Madness  ou L’exorcisme de William S. Burroughs

La forme

Plongée dans les années 1990 : après une effroyable décennie fluorescente de mauvais goût, retour à l’expérimentation dans la culture populaire. U2 (le Mee Too Band écrira Burroughs) diffuse A Thankgiving Prayer de Gus Van Sant en plein concert avant de donner à l’auteur du Festin Nu un rôle dans leur vidéo Last Night On Earth, Nine Inch Nails et Marilyn Manson s’inspirent d’un David Bowie à la cinquantaine incontrôlable et qui vient de lancer au grand public des bribes de cut-ups dans le générique de fin du Se7en de David Fincher.

Faux désespoir de fin du siècle, la morbidité se répand sur le grand écran, serial killers, extraterrestres, théories du complot… Burroughs, fan de X-Files, enregistre avec R.E.M le titre Star Me Kitten, chant d’amour à ses chats, sur la bande originale de la série intitulée Songs in the Key of X. Époque excitante, il ne semblait y en avoir de plus sombre… (Et pourtant…).

 
Key of x

Songs in the Key of X – © Warner Bros

Le lecteur s’imagine avec plaisir l’adaptation des Garçons Sauvages scénarisée par James Grauerholz et réalisée par Gus Van Sant, une collaboration avortée entre Norman Mailer et Burroughs, se réjouit de voir Ginsberg tirer à coups de Colt .45 sur un dessin de Bouddha (et devine sans peine le petit sourire félin d’un Burroughs qui commente  « Il mérite de se faire tirer dessus ! » ), apprend le dédain d’Allen Ginsberg pour le Festin Nu de Cronenberg (la platitude des extraits lus du roman), et découvre avec surprise qu’il aura fallu 41 ans au poète pour apprendre où Burroughs avait accidentellement tué sa femme…  (« Toutes ces années j’ai cru que c’était dans ton appartement ou celui de Joan. »)

Les livres qu’a écrits William S. Burroughs à cette époque ont pu paraître décevants voire tout simplement ridicules à quiconque préférait le versant junkie-homo-uxoricide de l’auteur. Si son maigre festin visionnaire avait révolutionné la psyché de ses lecteurs, il a pu être difficile de comprendre ce qui avait motivé l’écriture d’Entre Chats, Mon éducation : Un livre de rêves ou de Dernières Paroles.

Don’t Hide The Madness sert ainsi d’image manquante.

Le lecteur se retrouve plongé dans un univers magique et spirituel qui, avec ses visitations paranormales et ses spectres, constitue peut-être comme l’a noté Ted Morgan, la chose la plus importante à retenir de l’auteur.

Retour donc à un Burroughs qui, enfant, vit un jour des hommes miniatures jouer dans une maison qu’il venait de construire, qui en se baladant avec son frère dans le Forest Park de St. Louis aperçut un petit renne vert et qui à la fin de sa vie dans Mon Éducation se lamentera de l’éradication de l’homme des neiges, des licornes et des forêts pour laisser place aux motels, aux Hiltons et aux McDonalds.

Il écrira l’année de sa mort dans son journal : « Me voilà donc à 83 ans qui rattrape mon retard. Quant à savoir d’où je viens, il me semble tout juste sortir d’une adolescence tumultueuse avec une once de raison », entrée datée (à tort ?) du 25 mars 1927 (Burroughs avait 13 ans) et non de 1997.

Pour citer Pedro Mancini dans son livre fictif sur l’enfance de Burroughs Derrière le Bruit : « Billy a 12 ans et il a aussi une arme. Un jour Billy se convertira en William Burroughs ».

À Lawrence, William est aussi redevenu Billy.

 

Le Fond

« Ils appellent ça la possession, il arrive qu’une entité se faufile dans le corps… »
Le Festin Nu

Quelques jours avant l’enregistrement de ces conversations, l’auteur reçut la visite de Melvin Betsellie, shaman Navajo qui organisa une cérémonie de purification yuwipi (rite de la tribu des Lakotas) afin d’exorciser le « Ugly Spirit » (l’Esprit laid) qui avait semble-t-il possédé l’auteur toute sa vie durant et auquel Brion Gysin avait donné ce nom.

Le titre du livre, Ne cachez pas la folie, emprunté à Ginsberg, est judicieux puisque c’est ce que l’entourage de Burroughs, devenu objet d’étude, lui demande sans cesse, requête à laquelle il n’apporte aucune objection.

En effet, après avoir couvert de nombreux sujets (Salman Rushdie, la famille Getty, le film de Friedkin L’Exorciste, le livre Murder along the way), le cœur du livre est peut-être ce moment où Ginsberg apporte les écrits du Dr. Wolberg (qui avait refusé de rencontrer Ted Morgan pour sa biographie Literary Outlaw) qui ausculta un Burroughs âgé de 30 ans à partir de l’automne 1944 via l’hypnothérapie et la narcothérapie.

Burroughs, à l’instar de ses lecteurs, semble alors envisager sa vie et son cas de manière clinique, avec distance, technique assez proche de ce que Ginsberg nomme la méthode analytique Gelugpa, une branche du bouddhisme tibétain datant du XVe siècle, que lui utilise afin de combattre ses accès de colère, partant du principe que le simple fait de remarquer celle-ci (sans la combattre) en élimine 80%.

Les visites de Burroughs chez le Dr. Wolberg n’aboutirent à rien (hormis l’apparition de sept ou huit personnalités submergées) et le psychiatre conclut ses papiers ainsi : « […] l’échec ne fut pas à imputer à l’hypnose mais plutôt à cette notion généralement fausse qui tend à croire que de refaire l’expérience de souvenirs traumatisants vécus à un jeune âge peut apporter un quelconque soulagement à un trouble de la personnalité. »

Il est possible de voir ici la raison pour laquelle le docteur refusa de rencontrer Ted Morgan : Burroughs ferait de la mauvaise pub à la psychiatrie.

Cette phrase, Ginsberg la comprend de travers, ou feint de ne pas la saisir, s’imaginant que le docteur pense que Burroughs n’a eu aucun traumatisme passé, ce dont il se sert pour démontrer la supériorité du shamanisme et des enseignements bouddhiques jusqu’à arriver à une conclusion absolument confuse mais assez réjouissante pour le lecteur qui en vient à douter de l’existence même de cet esprit puisque le choc originel qui envoya Burroughs chez le psychiatre serait de nature sexuel et donc nullement lié à l’existence d’un esprit.

Or, Burroughs n’a aucun mal à jongler avec ses idées, visualisant clairement tout le processus et parle de l’acte sexuel non-consenti comme « le moyen, le moment où l’esprit eut accès… », clarifie-t-il à Ginsberg et Grauerholz.

Avant d’ajouter : « Mais cela ne sert à rien de ramener à ma mémoire ce qui s’est produit. »

Twin Peaks

© Twin Peaks

Postface estropiée

“Attendez-vous au défectueux, à l’estropié dans le corps et dans l’esprit. Tout cela n’est qu’un film projeté à l’envers… de la Bombe Atomique à la formule… E=MC2, en passant par le Projet Manhattan.”
Mon éducation : Un livre de rêves

Aussi absurde, surréaliste ou futée que l’explication puisse paraître, elle n’est pas sans rappeler une scène de Twin Peaks Le Retour de David Lynch où, pour revenir à l’origine du mal qui ronge la famille Palmer, le réalisateur nous emmène en 1956 dans la chambre d’une Sarah Palmer âgée de 13 ans à Los Alamos (Burroughs y alla à l’école à 16 ans pour soigner sa sinusite constante) où une espèce de grenouille prend possession d’elle en pénétrant dans sa bouche, ladite créature étant la représentation surréaliste du Manhattan Project, ce moment où l’Amérique (et sa jeunesse) perdit son innocence. Cette possession démoniaque se transmettra sexuellement parmi tous les membres de la famille et aura un nom : Bob, une autre interprétation de « l’Ugly Spirit ».

Sarah Palmer

Sarah Palmer © Twin Peaks

Comme s’ils puisaient dans un même champs unifié, pour Lynch et Burroughs, il semblerait que toute cette oligarchie démoniaque (« La laideur américaine dans ce qu’elle a de plus laid »), avide d’exercer son pouvoir monopolistique sur la population, ait pris possession de celle-ci en infiltrant ses membres lors d’actes incongrus, de toute évidence au Nouveau-Mexique.

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Alors qu’au cinéma la tendance est au révisionnisme académique (La Dame de FerChurchillHitchcockLe Redoutable…), l’angoisse est grande de voir débarquer un biopic sur Burroughs et d’achever ainsi le peu qu’il reste de ses plongées dans l’espace intérieur. Alors qu’un simple livre parvienne à faire revivre au lecteur l’excitation faussement lugubre des années 1990 et à redonner un peu d’élan et de joliesse à la mythologie Burroughsienne n’est pas la moindre des qualités de Don’t Hide The Madness.

 
BURROUGHS, William, GINSBERG, Allen, TAYLOR, Steven (dir.). Don’t Hide the Madness. Three Rooms Press, 2018. 364p.

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English

 

In August 2018, Steven Taylor, assistant to Allen Ginsberg for more than 20 years and member of the rock band the Fugs, published the transcription of a series of conversations between Allen Ginsberg, dispatched to Lawrence by the London Observer Magazine, and William S. Burroughs between 18th and 22nd March 1992.

 

Don’t Hide The Madness or The Exorcism of William S. Burroughs

The Style

Immersion in the 90s: after a horrifying fluorescent decade of bad taste, experimentation makes a comeback in popular culture. U2 projects Gus Van Sant’s A Thanksgiving Prayer during their tour, before giving the author of Naked Lunch a cameo in their Video Last Night on Earth; Nine Inch Nails and Marilyn Manson draw inspiration from a deranged 50-year-old David Bowie, who had just thrown fragments of cut-ups into the faces of mainstream audiences during the end credits of David Fincher’s Se7en.

In a kind of end-of-the-century tradition, morbidity spreads into every corner, on the big screen; we see stories of serial killers, aliens and conspiracy theories… Burroughs, a fan of the X-Files, records the title Star Me Kitten with R.E.M., a chant d’amour to his cats, for the soundtrack to the series, Songs in the Key of X. An Exciting Age, the darker the better… (little did we know…)

Key of x

Songs in the Key of X – © Warner Bros

Throughout the book, the reader is excited by the prospect of an adaptation of The Wild Boys

 directed by Gus Van Sant, or a possible collaboration between Norman Mailer and Burroughs, rejoices to “see” Ginsberg shoot at a drawing of Buddha with a Colt .45 (it’s easy to imagine Burroughs with his feline smile commenting “He deserves to be shot!”), and learns with surprise that it took the poet 41 years to realise where Burroughs had accidentally shot his wife (” I thought it was in your apartment or Joan’s all these years.”)

The books written by William S. Burroughs in the late 90s might have seemed rather disappointing for readers who preferred the author’s junky-homo-uxoricide works. While his meagre and visionary lunch had revolutionised his readers’ psyche, they may have struggled to understand the idea behind The Cat Inside, My Education: A Book of Dreams or Last Words.

 Don’t Hide The Madness fills in the blanks.

The reader is immersed in Burroughs’ daily life: guns, cats and a magical universe, which, with its psychic visitations and phantom beings, might remain the single most important thing about the author, as Ted Morgan noted.

The book brings us back to this side of Burroughs, the Burroughs who as a child once saw miniature men playing in a house he had built, or who while out walking with his brother in St. Louis’ Forest Park spotted a little green reindeer, and who at the end of his life in his My Education deplored the eradication of Bigfoot, unicorns and forests to make way for motels, Hiltons and McDonalds.

He would write in his diary a few months before his death, “So at 83, I finally catch up to myself. In terms of where I came from, I am just emerging from a stormy adolescence with a modicum of sense”, entry (mistakenly?) dated March 25th 1927 (when he was 13) instead of 1997.

To quote Pedro Mancini in his fictional book about Burroughs’ childhood Detrás del ruido: ” Billy is 12 and he also has a gun. One day Billy will turn into William Burroughs. ”

In Lawrence, William has turned back into Billy.

 

The Content

“Possession they call it… Sometimes an entity jumps in the body…”
Naked Lunch

A few days before the recording of these conversations, the author received a visit from Melvin Betsellie, a Navajo shaman who organised a purification ceremony called yuwipi (from the Lakota tribe) in order to exorcise the “Ugly Spirit” (named so by Brion Gysin) that had, so it seemed, possessed the author all his life.

The title of the book, Don’t Hide the Madness, borrowed from Ginsberg, is fitting, since this is what Burroughs’ entourage keeps requiring of him, to which he of course had no objections.

Indeed, after having covered numerous topics (Salman Rushdie, the Gettys, Friedkin’s movie The Exorcist, the book Murder along the way), the crux of the book might be the moment when Ginsberg brings the notes of Dr. Wolberg, a psychiatrist who in the Fall of 1944 started to analyse a 30-year old Burroughs using hypnotherapy and narcotherapy, and who for some reason later refused to meet Ted Morgan for his biography of the author Literary Outlaw.

Burroughs, not unlike his readership, seems to look at his life and his case with a clinical approach, with distance, a technique which is rather close to what Ginsberg in the book refers to as the analytical method of the Gelug, a school of Tibetan Buddhism dating back from the 15th century, that he uses to neutralise his fits of anger, suppressing 80% of them by simply noticing them.

Burroughs’ sessions with Dr. Wolberg led nowhere (except to the emergence of seven or eight characters he had in him) leading the psychiatrist to conclude: “ […] the failure was not the fault of hypnosis but rather the product of the generally mistaken notion that recapture of early traumatic memories can bring relief to a character problem.”

It’s possible that this is why the doctor refused to meet Ted Morgan: Burroughs’ case was simply bad PR for psychiatry.

Ginsberg misunderstands these lines, or pretends to, taking the doctor to mean that Burroughs had no past trauma. The poet uses this to prove the superiority of shamanism and Buddhist teachings to psychiatry, leading to a conclusion that is rather confusing, and nonetheless delightful for the reader, who ends up doubting the existence of the ugly spirit, since the original trauma that brought Burroughs to the psychiatrist was sexual, and therefore in no way connected to a spirit.

However, Burroughs seems to have no problem handling such ideas, clearly visualising the whole process at work, and describing the non-consensual sexual act as “the means, the moment at which the spirit gained access…”, he explains to Ginsberg and Grauerholz.

Before adding “But there’s no reason to make me recall what transpired.”

 
Twin Peaks

© Twin Peaks

Maimed Postface

“Expect the flawed, the maimed in body and spirit. It’s all a film run backward… the Atom Bomb through Manhattan to the formula…E=MC2.”
My Education: A Book of Dreams

As absurd, surrealist or cunning as it seems, this is in a way reminiscent of a scene from David Lynch’s Twin Peaks The Return where, in order to locate the origin of the evil that haunts the Palmer family, the director brings us back to 1956 in the bedroom of a 13-year old Sarah Palmer in Los Alamos (where Burroughs went to school, aged 16, to cure his sinusitis) where what looks like a frog takes possession of her, climbing in to her mouth – the aforesaid creature being the surrealist and symbolic representation of the Manhattan Project, that moment when America (and its youth) lost its innocence. This evil virus would then be sexually transmitted to all members of the Palmer family under the name Bob, another interpretation of the Ugly Spirit.

Sarah Palmer

Sarah Palmer © Twin Peaks

As if they were drawing from the same unified field, for both Lynch and Burroughs, it seems that some evil and vampiric oligarchy (“The ugly American at its ugly worst”) is exerting its acquisitive and monopolistic power over the people after having infiltrated and subdued them during incongruous acts (possibly in New-Mexico).

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Since in films, there is a tendency toward a certain academic revisionism (The Iron Lady, Churchill, Hitchcock, Godard Mon Amour…), the fear that we may one day see a big screen biopic of Burroughs (that would kill what little remains of his immersions into inner space) is not unfounded. The fact that a simple book manages to bring back some make-believe despair of the 90s and to give back the Burroughsian mythology some of its impetus and fascination is among the many qualities that make Don’t Hide The Madness a worthy read.

 

BURROUGHS, William, GINSBERG, Allen, TAYLOR, Steven (dir.). Don’t Hide the Madness. Three Rooms Press, 2018. 364p.