Jean-François Duval est un journaliste et écrivain. Vous pouvez consulter sa biographie en cliquant ici.
Lucie Malagnat : Comment avez-vous découvert la Beat Generation ?
Jean-François Duval : J’ai lu Sur la route de Kerouac vers le milieu des années 1960. À la fois par intérêt pour le sujet et parce que c’était une bonne occasion de perfectionner l’anglais que j’apprenais au lycée ; je crois bien que c’est le premier livre que j’ai lu en anglais, en dehors de mes lectures scolaires. À cela s’ajoute qu’au début des années 1960, le nom de Kerouac apparaissait parfois (quoique très rarement) dans la presse traitant de « la musique pour les jeunes », destinée aux amateurs de rock’n’roll et aux « yéyés » (je pense même que Kerouac a été évoqué une fois ou l’autre dans le magazine Salut les copains). En dehors des musiciens rock proprement dit (Elvis Presley, Chuck Berry, Little Richard, etc), la jeunesse d’alors, celle du baby-boom, était en effet marquée par d’autres icônes dans d’autres domaines que la musique: pour le cinéma, il s’agissait bien sûr de James Dean et Marlon Brando. Quand on se tournait du côté de la littérature, c’était le nom de Kerouac qui surgissait, une fois de plus très discrètement. Comme je m’intéressais à la littérature, j’avais retenu ce nom et m’étais promis de le lire un jour, raison pour laquelle j’ai acheté Sur la route en anglais sur un « tourniquet» de gare, à Londres je crois, une édition de poche que je possède toujours.
LM: Qu’est-ce qui vous a amené à écrire le livre Kerouac et la Beat Generation
(PUF, 2012) ?
JFD: En 1986, j’ai rencontré Charles Bukowski chez lui, à San Pedro, en Californie, pour une soirée qui s’est poursuivie fort tard. L’interview a été publiée dans la presse, notamment dans Libération. Bukowski ne faisait pas du tout partie du mouvement beat (il était à la marge de la marge, un individualiste forcené se tenant à l’écart de tout mouvement), mais en France, on l’y rattachait tout de même un peu dans certains articles. Cela m’a intrigué. Puis, en 1994, j’ai rencontré Allen Ginsberg chez lui, à New York. Il m’a fait prendre conscience de mon ignorance de l’ampleur du mouvement beat et j’ai réalisé que je ne pouvais pas comprendre ma propre histoire sans tenir beaucoup plus compte du rôle de la contre-culture américaine sur toute la jeunesse européenne d’après-guerre. À tous les niveaux, elle nous avait marqués, musicalement (via le rock), littérairement (via la littérature beat), socialement (bouleversement des mœurs et des façons de vivre). C’est là qu’est vraiment né mon intérêt pour le mouvement beat et la Beat Generation. C’était pour moi une façon d’essayer de mieux comprendre «ce qu’il s’était passé» depuis 1946-1947, y compris dans les incidences que cela avait eu sur l’ensemble de la jeunesse occidentale, des deux côtés de l’Atlantique. Cette rencontre avec Allen Ginsberg m’a dans un premier temps conduit à écrire un livre qui examine les rapports entre Charles Bukowski et les écrivains de la Beat Generation : Buk et les Beat : essai sur la Beat Generation, paru en 1998 chez Michalon (édition revue et augmentée en 2014). Depuis ma rencontre avec Ginsberg, je n’ai plus cessé de lire et de rencontrer des gens en rapport avec la Beat Generation, notamment au cours de nombreux reportages que j’ai faits aux États-Unis. Kerouac et la Beat Generation : une enquête, paru en 2012 aux PUF, est le résultat de tout ce travail d’enquêtes, de lectures, de rencontres, etc.
LM: Parlons de la Beat Generation en France. Qu’est-ce qui a poussé les auteurs Beat à quitter les États-Unis pour rejoindre Paris ? Qu’est-ce qu’ils trouvaient en Paris qui leur manquait en Amérique ?
JFD: Les raisons sont multiples. Pour beaucoup de jeunes Américains, surtout dans les milieux étudiants, il s’agissait assez communément (c’est toujours le cas) de faire un oversea trip, façon de découvrir le monde. Paris et la culture française ne pouvaient qu’exercer une forte attraction, à plus forte raison si l’on avait une âme d’écrivain (il y avait la tradition de Ernest Hemingway, Scott Fitzgerald, Henry Miller, etc.) Voilà pour le cadre général. Cela dit, dans le cas des Beats, on peut dire que c’est William Burroughs qui a inauguré et en partie déclenché les voyages de Ginsberg, Orlovsky, Kerouac hors des États-Unis, lorsqu’il s’est rendu à Tanger. Burroughs, qui ressentait son pays comme très « oppressif », s’est toujours senti plus « libre » hors des États-Unis, que ce soit au Mexique, à Tanger, puis à Paris, et à Londres à partir des années 1960-1970. En un sens, on peut dire que Ginsberg, Orlovsky, puis Kerouac, se sont d’abord rendus à Tanger pour lui rendre visite. À partir de là, Paris (ou encore Londres) étaient pratiquement à deux pas, et il aurait été bête pour eux de ne pas faire le détour par Paris et une incursion dans la vieille Europe, avant de retourner aux USA. À noter que Kerouac n’a cependant jamais logé au Beat Hotel de la rue Gît-le-Cœur. Burroughs, Ginsberg, Corso n’ont finalement guère pénétré la société parisienne en profondeur. Grâce à Jean-Jacques Lebel, ils ont fait la connaissance de Michaux. Burroughs, qui les avait rejoints, et Ginsberg ont également rendu visite à Céline. Mais leurs contacts avec la France sont restés assez superficiels. Par exemple, on peut relever le fait qu’ils n’ont eu aucun contact avec les milieux existentialistes de Saint-Germain des Prés, alors que ce mouvement était alors très à la mode (Sartre, Vian, Greco, etc. Autrement dit, je ne pense pas qu’ils cherchaient réellement autre chose à Paris qu’ils ne pouvaient trouver aux États-Unis, hormis ce sentiment de liberté que l’on ressent lorsqu’on voyage. C’étaient simplement de jeunes gars en voyage outre-Atlantique et qui avait l’esprit un peu bohème. Avec tout de même beaucoup de sérieux, de créativité et de talent dans leurs entreprises littéraires, puisque c’est à Paris que Ginsberg commence Kaddish, que William Burroughs termine et publie Le Festin nu, et que Corso écrit Bomb.
LM: Pour quelles raisons la Beat Generation a-t-elle réussi son installation en France, dans la culture et dans l’édition française ?
JFD: Cela s’inscrit dans un très vaste mouvement générationnel, qui a marqué les générations d’après-guerre un peu partout autour de la planète, hormis dans les pays totalitaires (URSS, Chine, etc). L’Europe de l’Ouest, la France, l’Italie, l’Allemagne et même l’Angleterre ont vécu à l’heure américaine, recevant quantité d’influences des États-Unis. Le cinéma et la musique (rock) venant de là-bas, a déferlé. L’armée américaine était encore très présente en Europe. Les incidences culturelles ont été énormes : arrivées et éditions du Livre de poche sur le modèle américain, 45 tours, habillement (jeans et
T-Shirt), etc. En un sens, dans tous les domaines culturels aussi bien que socialement parlant, l’Amérique et son mode de vie représentait une sorte de modèle. On l’a très bien senti dans les années 60, quand, après la mode des « beatniks», toute la jeunesse a commencé à s’habiller et à arborer un look « hippie» (dès 1965-1966). Le succès des groupes rock comme les Beatles ou les Rolling Stones renvoyaient aussi à la culture populaire américaine, puisque les Beatles ont commencé par reprendre tous les standards rock créés aux États-Unis par Presley, Little Richard, Chuck Berry, Gene Vincent, Buddy Holly, Eddie Cochran, et que les Rolling Stones ont récupéré et interprété pour la jeunesse anglaise, puis mondiale, tous les standards du blues créés par des gens comme Muddy Waters, Little Walter, Elmore James, Howlin’ Wolf, Arthur Crudup, etc. Sur le plan littéraire, cette culture américaine a aussi infusé en Europe, quoique dans une mesure bien plus réduite que sur le plan musical. Il faut se souvenir que littérairement parlant, la France vivait à l’heure du Nouveau Roman. La littérature beat et le Nouveau roman sont contemporains l’un de l’autre, mais témoignent d’approches littéraires radicalement opposées. Dans l’un et l’autre cas, il s’agissait de renouveler la littérature et le roman, mais les voies empruntées différaient totalement. Je ne crois pas que les Beats aient eu une grande influence à ce moment-là en France. Kerouac avait surtout connu le succès aux États-Unis avec On the Road en 1957, mais dans les années 1960, son œuvre (et lui-même) étaient déjà très oubliés, non seulement aux États-Unis et à plus forte raison en France où, pendant toute cette décennie, ses livres étaient quasi introuvables. Kerouac n’était plus du tout « in », notamment du fait de ses positions réactionnaires, de son soutien à la guerre du Viêt Nam. Kerouac était très conservateur, et condamnait ceux qu’on appelait les « contestataires ». C’est d’ailleurs la raison de la mésentente qui s’est installée entre lui et Ginsberg, lequel se voulait quant à lui le porte-parole de la contestation, appuyant des chanteurs comme Bob Dylan ou Joan Baez. Dans les années 1960, Ginsberg, en Europe, était même plus connu comme porte-parole de la contestation et « activiste politique » que comme poète beat. Donc, pour répondre à votre question, je crois que la « pénétration» de la littérature beat en France ne s’est faire que très lentement, et qu’elle n’a véritablement pris son essor que bien plus tard, à partir des années 1990. Les Beats n’ont jamais été autant traduits en France qu’aujourd’hui et on n’en a jamais autant entendu parler que depuis ces 20 dernières années.
LM: Les passeurs (éditeurs, critiques, traducteurs, etc.) se sont battus pour installer la Beat Generation en France et pour la faire connaître. Pourquoi tant d’efforts pour ce mouvement très controversé pour l’époque qui n’était déjà pas dans les bonnes grâces des États-Unis ? Qu’apportait-il ? (Je donne l’exemple de Maurice Nadeau qui, en 1960, a réalisé un dossier spécial « Beatniks et jeunes écrivains américains » dans sa revue Les Lettres nouvelles. Il y exprime sa volonté de faire connaître ce mouvement après avoir lu un article intitulé « Epitaph for the Dead Beats » dans lequel l’américain John Ciardi insulte presque ces écrivains.)
JFD: La réponse que j’ai donnée précédemment ne vaut évidemment pas pour quelques « happy fews », dont Maurice Nadeau, qui étaient sensibles à l’ébranlement culturel qui était en cours, y compris dans le domaine de la littérature. Nadeau fait partie des rares personnes qui ont compris ce qui était en train de se passer, et le rôle que la littérature beat pourrait jouer. Le flambeau sera repris dans les années 1970 (c’est-à-dire dans la mouvance de Mai 68) par des éditeurs comme Raphaël Sorin, Gérard Guégan (édition du Sagittaire), et surtout par Christian Bourgois, auquel on doit d’avoir réellement introduit les Beats dans le paysage de la littérature en France. C’est sa maison qui a publié des auteurs beats moins connus que Kerouac, Burroughs ou Ginsberg, comme Gregory Corso, Bob Kaufman, et bien d’autres. Si ces gens-là se sont battus pour faire connaître les Beats en France, c’est aussi que le roman et la littérature français se trouvaient dans une impasse au début des années 1960. D’un côté, il y avait le Nouveau Roman, qui tournait en rond (c’était bien son rôle, briser les cadres narratifs hérités du passé), et pour le reste une production romanesque française complètement conventionnelle, c’est-à-dire s’inscrivant complètement dans des schémas narratifs vieux d’un siècle, et n’apportant aucune nouveauté par rapport aux chefs d’œuvre de Balzac, Flaubert, etc. qui ont fixé les canons du roman dix-neuviémiste. Il y avait besoin d’un renouvellement. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles on a un peu regardé du côté des Beats dans les années 1960. Ce type de littérature apportait peut-être un peu de sang frais et neuf, mais comme dit plus haut, l’impact des poètes beats a été très faible, voire nul dans la France des années 1960, et cela jusqu’aux années 1990.
LM: La Beat Generation est à l’origine de changements sociologiques dans notre culture française et dans nos habitudes. De plus, la Beat Generation a, encore aujourd’hui, un impact fort. Vous parlez vous-même de Beat revival (interview accordée à Mollat), tandis que l’éditorial des Hommes sans épaules n°42 (second semestre 2016) signé Christophe Dauphin affirme qu’ « hier comme aujourd’hui,
le monde a besoin de gens comme les beats, révoltés éblouis et pacifiques, clochard célestes, poètes hallucinés, étrangers au formatage généralisé de la société cybernétique. » Comment expliqueriez-vous ce nouvel engouement pour la Beat Generation depuis quelques années ?
JFD: À partir des années 1990, il y a eu, aux États-Unis d’abord, un Beat revival. Ce Beat revival est né d’une lente maturation dans les années 1980. Un événement capital a été en 1983 la « Jack Kerouac Conference » qui s’est tenue à Boulder dans le Colorado. Cette manifestation de plusieurs jours a réuni à peu près tous les « survivants» (et ils étaient encore nombreux) du mouvement beat. Non seulement s’y trouvaient Burroughs, Ginsberg, Corso, mais également quantité de gens qui avaient perpétué l’esprit beat, chacun à leur façon (étaient même présents le fils de William Burroughs, Jan Kerouac
la fille de Kerouac, etc.) En même temps, on s’est peu à peu mis à publier des livres de souvenirs sur la Beat Generation, par exemple Carolyn Cassady a publié en 1976 Heart Beat : My Life With Jack and Neal (qui a donné naissance en 1980 au film éponyme avec Nick Nolte et Sissy Spacek), puis en 1980 Off the Road, qui racontait de manière plus étoffée sa vie avec Neal Cassady et ses rapports avec Jack Kerouac, etc. La « mayonnaise» a ainsi lentement pris tout au long des années 1980. Des revues se sont aussi créées, entièrement consacrées aux Beats, comme « Beat Scene » en Angleterre (dirigée par Kevin Ring) qui est aujourd’hui encore un trait d’union essentiel pour toutes les personnes qui s’intéressent aux Beats. Au début des années 1990, la marque de vêtement Gap* a placardé partout une immense photo montrant Kerouac portant des pantalons « cool ».

Des acteurs connus se sont mis à dire à quels points ils admiraient les Beats. Ainsi Johnny Depp (qui a acheté le manteau de Kerouac aux enchères), Sean Penn, River Phoenix, Peter Coyote, etc. et dans le domaine de la musique, Kurt Cobain, Sonic Youth, etc. Burroughs et Ginsberg se sont volontiers investis dans plusieurs de ces aventures musicales. C’est ainsi que les plus jeunes générations ont entendu parler de Kerouac et des Beats.
*D’ailleurs, Burroughs a également participé à une publicité pour Nike.
En France, certains écrivains qui ont connu le succès dans les années 1980, ont expliqué l’influence qu’avait sur eux de la littérature beat. Ainsi, Philippe Djian, rendu célèbre par 37,2 le matin, déclarait son admiration pour Kerouac, Bukowski, Carver, etc. La presse rock française également a joué un rôle, ainsi Rock & Folk, les Inrocks, et aussi des quotidiens comme Libération qui a fait son succès en pratiquant un « nouveau journalisme » inspiré du journalisme gonzo à la Hunter S. Thompson et de Tom Wolfe, nouveau journalisme que pratiquaient aussi des magazines comme Actuel. Dans le domaine de l’édition, comme dit plus haut, des gens comme Christian Bourgois, Raphaël Sorin, Gérard Guégan se sont aussi attachés à mettre les Beats en valeur. Sur le plan sociétal, s’il y a eu un Beat revival dans plusieurs pays (USA, France, Italie, Allemagne, Grande-Bretagne, et certains pays de l’Est), c’est aussi en réaction, je crois,
à l’individualisme et à la pensée « unidimensionnelle » qui a caractérisé toute la décennie des années 1980. En France, la figure du « héros » était incarnée par des gens comme Bernard Tapie, emblème de la réussite dans les domaines des affaires. On ne considérait plus l’homme que dans sa seule dimension économique. En ce sens, l’intérêt pour les Beats vient de ce que précisément, ce mouvement ne réduisait pas l’être humain à sa seule dimension économique, mais cherchait à le percevoir dans sa multiplicité, sans oublier du tout à quel point l’homme est aussi un être spirituel, en quête d’autre chose que le confort matériel.
LM: La comparaison est souvent faite entre les Indignés et les Beats. Selon Jean-Jacques Lebel, « les prochains utopistes et visionnaires s’inspireront encore des révoltes des Beats ». Pensez-vous que la Beat Generation aura une telle pérennité ? En quoi les révoltes beat ont-elles inspiré et inspirent encore aujourd’hui ?
JFD: Même s’il y a des points communs (la rébellion face à la pensée unique), il y a une grande différence entre les Indignés et les Beats : les premiers étaient avant tout axés sur des questions strictement économiques, ce qui n’était pas le cas des Beats. « Les prochains utopistes et visionnaires s’inspireront-ils encore des révoltes des Beats ? », comme le pense J.-J. Lebel ? C’est difficile à dire. Mais il faut se rendre compte que le mouvement beat appartient lui-même à une longue tradition qui, aux États-Unis, remonte à des gens tels que R.W. Emerson, Thoreau, Walt Whitman. Et que ce courant américain a aussi été profondément influencé par des poètes et des écrivains français comme Rimbaud, Baudelaire, ou, pour ce qui concerne plus particulièrement les Beats, Artaud, Genet. Autrement dit, on pourrait plutôt dire que l’esprit de révolte se manifeste à chaque époque sous différentes formes, prend le visage de différents avatars qui entretiennent entre eux des liens souterrains et subtils. Je pense que si, dans cent ou deux cents ans, on se réfèrera encore aux Beats, ce sera pour les inscrire dans un mouvement qui a commencé bien avant eux, et qui se sera poursuivi au XXIe et au XXIIe siècle sous des formes qu’on ne connaît pas encore.
LM: Les ouvrages de Kerouac, Ginsberg et Burroughs sont aujourd’hui encore souvent réédités. Je pense à Maggie Cassidy, réédité en 2013, Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines passé en poche en 2013, au Festin nu, réédité en 2015, The Town and the City réédité en mars 2016…pour ne citer qu’eux. Pour quelle(s) raison(s) selon vous, les éditeurs ne se contentent pas de réimprimer ces ouvrages mais préfèrent les rééditer, en y ajoutant un paratexte, les mettant ainsi en avant ?
JFD: L’intérêt pour les Beats, aux USA, en Angleterre, et ailleurs en Europe (mais aussi
en Amérique latine et au Japon) va croissant, pour toutes les raisons évoquées plus haut. Beaucoup de textes de Kerouac et d’autres auteurs beats n’avaient jamais été traduits
en français (et étaient même restés inédits en anglais, comme la correspondance ou les journaux de Kerouac, par exemple). Il était normal que les maisons d’éditions françaises s’attachent à mettre ces textes à la portée du lectorat français. Par exemple, Bernard Wallet, qui a créé en 1997 les éditions Verticales, a choisi de publier parmi ses premiers ouvrages une traduction française de l’énorme Memory Babe de Gerald Nicosia, biographie de Kerouac de plus de mille pages, qui était parue quatorze ans plus tôt aux États-Unis, en 1983. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de parler avec lui. Il m’a confié qu’il tenait tout particulièrement à publier cet ouvrage « parce que Jack Kerouac avait été comme un second père pour lui » (sur un plan symbolique ; il ne l’a jamais rencontré). C’était au téléphone, et nous n’avons pas développé ce point davantage.
LM: Parlons de la critique et de la réception de la Beat Generation. En Suisse et en France, comment ont été accueillis les ouvrages des auteurs beats ? Sont-ils autant édités en Suisse qu’en France ?
JFD: En France comme en Suisse francophone, ils sont plutôt bien accueillis et mis en évidence. L’une des raisons (sociale) est que les gens aux postes de commande dans les maisons d’édition et dans le monde du livre et de la presse en général sont d’anciens baby-boomers. De la même manière que moi, ils ont entendu parler de Kerouac et des Beats dans leur adolescence et leur jeunesse. Ils sont donc tout heureux d’essayer de transmettre cet héritage aux jeunes générations. En Suisse, les Beats ne sont pas autant édités qu’en France. En effet, la plupart des auteurs beats sont représentés par des agences françaises ou des éditeurs français. Certaines maisons d’édition suisses romandes publieraient certainement très volontiers des auteurs beats, mais elles ne le peuvent pas, puisque les droits pour des publications en français sont détenus par des agences ou des éditeurs français, y compris pour les autres pays de la francophonie.